Né en 1955 à Reims (France)
Vit et travaille à Paris
Artiste prolifique, Jean-Luc Moulène construit depuis trente ans une œuvre complexe et protéiforme, traversée par une photographie plasticienne qu'il pratique depuis ses débuts. Depuis quelques années son travail sculptural a pris davantage d'importance, toujours influencé par des allers-retours féconds entre les différents médiums. Ses œuvres sont présentes dans des collections du monde entier, et ont fait l'objet de nombreuses expositions dont une grande rétrospective au Centre Georges Pompidou en 2016. Jean-Luc Moulène a également participé à plusieurs biennales dont celle de Venise en 2019.
Entre 1984 et 1995 Jean-Luc Moulène réalise la série Disjonctions, un ensemble disparate de quarante-deux photographies. Entre ces images énigmatiques, prises sur le vif, et les photographies de studio que l'artiste réalise par ailleurs, le rapport semble lointain; toutes procèdent pourtant d'une volonté d'échantillonner le réel, de dresser un inventaire des formes créées par la nature et la société. Portraits, paysages, natures mortes, vues urbaines renvoient d'une part aux catégories classiques de la photographie. Produits, Documents, Noyau dur, Opus évoquent davantage le langage de la science, de la publicité ou de l'administration. L'obsession typologique de Moulène s'exprime alors par l'étude des différents genres photographiques qui échappent à toute formalisation par le langage, ou passe par des mots qui tentent de regrouper sous une même entrée des images disjointes. « On lit une image fixe en laissant monter les mots à l'intérieur. Tout ça, tout à fait mentalement. En fait, ce qui est monté c'est proprement tous ces mots qui montent, qui apparaissent au-dessus de l'image1 ».
Le politique traverse le travail artistique de Jean-Luc Moulène, qui n'a de cesse d'explorer les formes-limites de la marchandisation. Marchandisation des corps, avec Les Filles d'Amsterdam (2004) où il fait poser sur fond coloré des prostituées nues aux jambes écartées, présentant leur sexe au spectateur tout autant que leur visage. Non moins célèbres, les photographies des Objets de grève (2000-2003), objets fabriqués par les ouvriers en grève qui détournent leurs outils de production, transformant ainsi des marchandises en objets militants. Quant aux Produits de Palestine, ils attestent d'une situation géopolitique : fabriqués dans un pays qui n'existe pas légalement, ce sont « des fictions » selon Moulène. L'artiste nous rappelle que la consommation est aussi celle du regard, et que la photographie contraint ce qu'elle capture à un devenir-chose.
Les photographies de Jean-Luc Moulène tiennent de l'evidence, qui dans le registre anglophone de la criminologie désigne la preuve. Mais aussi, évidence d'un corps nu, d'un paysage, d'un geste, d'une simple mauvaise herbe. Entre évidence et evidence, entre Bertillon et Belloc, l'artiste déploie un vocabulaire plastique cohérent, qui va de l'analytique à l'indicible.
1 Jean-Luc Moulène, dans l'émission « Tout arrive ! » sur France Culture en 2009, à propos du journal Personne.