Dans ces heures liminales où la nuit n’est pas encore jour demeurent des existences solidaires, intimes et endurantes. L’exposition in the hours between dawns1 propose de visiter ces espace-temps peuplés par les corps et pensées qui se tiennent dans la pénombre d’un devenir incertain. Elle prend appui sur la figure d’Audre Lorde (1934-1992), dont les écrits ont marqué les champs des féminismes intersectionnels, des luttes lesbiennes et des mouvements anti-racistes, en défendant un empouvoirement2 des communautés minorisées par la prise de parole et la mise en acte. Dans son poème Litanie pour la survie3, Audre Lorde écrit depuis les marges, donnant voix à cell·eux qui vivent dans l’ombre du silence. Pour elle, si la survie constitue un acte de résistance face à l’effacement, elle est aussi un geste poétique : entre deux aubes, les vulnérabilités ont parfois la capacité de se mouvoir en forces créatrices.
Balade tantôt rêvée ou fantasmée, in the hours between dawns convoque des pratiques qui interrogent, dénouent et transforment les structures de pouvoir et les récits hégémoniques tout en imaginant des futurs sensibles et multiples. Elle présente les œuvres de onze artistes ou duos d’artistes comme autant de poèmes desquels émergent de possibles horizons. Expression par le corps, par l’écriture de nouvelles narrations, par l’hommage ou même par la caresse, iels ouvrent la voie à la lumière tapie dans les zones les plus sombres.
Éclats dans l’obscurité, les familles choisies, les communautés et les héritages deviennent des ressources essentielles à la (re)construction du soi et du commun : à la fois refuge et forme d’idéal, espace d’écoute, d’appartenances, d’affects et de transformations. Se tisse ainsi une archive poétique et fragmentée au sein de laquelle le collectif et l’individuel, le réel et le spéculatif se rencontrent.
Entre vulnérabilité et puissance, in the hours between dawns propose de repenser les frontières du visible et de l’audible, de la survie et du rêve. À l’image de la litanie d’Audre Lorde, elle invite à écouter ces voix qui murmurent, chantent et persistent dans les interstices du jour et de la nuit.
1. Extrait du poème Litanie pour la survie (1978) d’Audre Lorde. Traduit littéralement dans les heures entre les aubes. La traduction de Gerty Dambury pour les éditions L’Arche choisit entre deux aubes.
2. L’empouvoirement est la traduction française du mot anglais empowerment. Celui-ci renvoie à un double mouvement : il définit à la fois le geste par lequel on attribue du pouvoir à quelqu’un, et l’état dans lequel se trouve une personne a le pouvoir de. C’est-à-dire, les capacités d’auto-définition et de décision qui résultent d’une émancipation, ou qui la fondent.
3. Litanie pour la survie est paru dans La Licorne noire, (1978), traduit de l’anglais (États-Unis) par Gerty Dambury, Paris, L’Arche, collection Des écrits pour la parole, 2021